Maude Harcheb
LE MOIS 5
11 mars
Samedi soir, on est à table avec Indie, elle mange tôt car on la couche à 19h30 - 20 h maximum.
Les fins de journée sont toujours difficiles pour moi, je suis super fatiguée, j’ai le ventre qui pèse, souvent des douleurs ligamentaires…
Antho essaye de me demander discrètement si je suis ok pour qu’on aille au cinéma le lendemain avec Indie. Ce serait son premier vrai cinéma et il me tanne pour l’amener depuis quelques semaines. Le film qu’il a repéré ne passe pas là où l’on vit et il faudrait faire 30 mn de route pour le voir dans une autre ville, le lendemain à 13H30.
Il m’a déjà fait la proposition la semaine d’avant et j’avais déjà dit que je trouvais ça un peu embêtant niveau trajet et horaire, le dimanche on traîne et on mange tard. Puis le film n’a pas l’air ouf, bref je suis pas emballée par le projet et il le sait, ça m’agace qu’il insiste avec ce truc. Il me dit d’emblée : “Je l’emmène si tu veux, tu peux rester te reposer.”
Il est hors de question que je rate le premier cinéma de notre fille, je trouve sa proposition faussement gentille, il n’a simplement pas envie de prendre mon avis en compte et a déjà décidé d’aller au cinéma.
Je le questionne, le cinéma est où exactement, ça nous ferait partir à quelle heure sachant qu’il faudra prévoir le temps de manger avant pas loin etc… Il s’énerve, balance son téléphone sur la table et me dit, saoulé : “Bon, je sais pas, tu regarderas toi !” J’ouvre des grands yeux, paaaaaardon ?
On peut discuter ou c’est la dictature ici ? Il rétorque qu’il sait où ça va aller et que je vais encore faire de la situation un “truc chiant”. Wow !
Je trouve ça hyper gratos et ça me confirme que sa proposition d’y aller sans moi est motivée par l’idée que je ne le contrarie pas dans ses plans.
Je DÉTESTE ce genre de moves, si t’as quelque chose à dire tu le dis, si mon comportement te plait pas tu le dis au lieu de tenter des manœuvres fourbes qui t’évitent une discussion dont tu n’as pas envie.
Je sens une giga bouffée de colère monter en moi, je la réprime parce que notre fille est entre nous deux et que je ne veux pas déclencher un pugilat sous ses yeux.
Je suis très en colère parce que ça fait plusieurs semaines que ce genre de comportement de sa part est récurrent. Ignorer une de mes remarques, chantonner quand je lui fais une réflexion, carrément faire comme si je n’étais pas là parfois. Je veux bien croire que je suis pas super patiente ces derniers temps, ça a été plutôt dur, mais là, j’ai l’impression d’être un monstre avec qui on ne peut même pas discuter !
Est-ce que je suis si horrible que ça ? Et si oui, combien de temps va durer l’hypocrisie ? Il n’aura jamais le courage de m’en parler, de se confronter ? Tout ne sera que stratégie pour éviter de réveiller la colère de la relou de la maison ?
Cela fait plusieurs fois que je ressens de l’agacement dans ses comportements ou dans sa voix, sans qu’il ne l’exprime jamais clairement. Ça me perturbe et me peine et j’ai passé beaucoup de temps à y penser ces jours ci.
Une partie de moi a envie de lui exploser au visage, de le secouer et de lui dire : “Bah parle ! Qu’est ce qu’il y a ?!”, mais je me laisse toujours le temps d’essayer de redescendre et d’avoir les idées claires avant d’engager des discussions compliquées.
Je crois qu’on est dans une petite crise de couple, mais est-ce que je suis la seule à le voir ? Cette idée même me fout encore plus en colère. Il est tellement passif dans ces moments, parfois passif-agressif sans le réaliser.
Antho et moi on ne se dispute pas, quasiment jamais. Alors je réfléchis. Beaucoup. Est-ce qu’on ne se dispute pas parce qu’on s’entend super bien ou parce qu’il est simplement incapable de me confronter ? Je me demande sincèrement ce que ça dit de moi.
Est-ce que je suis cette fille du sud colérique qu’on évite soigneusement de contrarier ?
J’examine mentalement mes relations de manière générale, je ne pense pas que ce soit le cas, sincèrement. J’ai des tas de défauts, mais j’écoute, toujours. Je suis là pour les autres, trop parfois, quitte à oublier mes propres limites.
Je trouve ça humiliant, je suis sa femme, est-ce que je n’en vaux pas la peine ? Et surtout, je me soucie de son bien être, toujours, je crois que je l’ai prouvé maintes fois. Je ne comprends pas.
La colère que je ressens en moi depuis quelques temps, elle est dirigée vers Antho et je ne la comprends pas complétement. J’ai du mal à l’expliquer, il y a quelque chose que je ne touche pas encore du doigt.
Et cette histoire bidon de cinéma vient d’ajouter LA goutte de trop à un vase déjà plein.
12 mars
Je me réveille dans le salon en pleurant. J’ai passé une nuit de merde. J’ai eu mal au ventre, Antho bougeait trop, je suis restée réveillée 2h30 au milieu de la nuit à penser à mon couple et à ma colère puis j’ai fait des rêves compliqués.
C’est “drôle”, parce que j’écris sur la grossesse depuis longtemps et je sais que c’est une période très propice à la remontada d’émotions, souvenirs et traumas enfouis, mais je ne m’attendais pas à ce que ça me cueille comme ça cette nuit là.
J’ai rêvé de ma famille, de ceux qui ne sont plus là, de mes fantômes à moi, mon parrain, mes tantes, ma grand-mère paternelle avec qui j’ai habité jusqu’à mes dix ans. Et je me suis réveillée submergée. Les larmes coulaient déjà quand j’ai ouvert les yeux et je n’ai pas réussi à les arrêter.
J’ai pleuré un long moment en silence, sans savoir vraiment pourquoi. Comme un trop plein d’émotions que j’aurais contenu depuis longtemps et qui s’exprimait soudainement de manière incontrôlable.
Indie et Antho débarquent dans le salon. Elle, ne remarque rien, lui se fige un instant en voyant mon visage, mais moi je n’ai pas fini de pleurer. Alors je vais dans ma chambre pendant qu’il lui donne son petit dej. Je pleure de plus belle, en contenant mes sanglots, j’ai envie d’HURLER et de tout casser, je suis tellement en colère et triste. Je n’ai qu’une envie, me téléporter dans un lieu désert où la magnitude de ce que je ressens là tout de suite pourrait s’exprimer sans limite.
J’attrape mon téléphone et j’écris à J. Elle a du monde chez elle je le sais, mais j’ai besoin de vider mon sac là tout de suite, et pour une introvertie ultra pudique comme moi c’est très rare. Alors quand ça arrive c’est urgent. Je lui balance tout, ma colère, ma tristesse, le manque de ma famille, les tensions avec Antho…
Avec J. on se connait depuis tellement longtemps qu’elle a tout vécu à mes côtés, elle sait tout, je n’ai pas besoin d’expliquer grand chose. Quand je lui dis “je pense à ma famille”, elle sait de qui je parle, ce qu’il s’est passé, quand et comment. Elle connait mes blessures et elle ne les juge jamais. Elle sait.
Au fil de la discussion, je réalise quelque chose à propos de mon couple. C’est pas moi. Enfin, ce n’est pas moi spécifiquement. Antho ne confronte jamais. JA-MAIS. Personne. Je le vois dans notre quotidien. Un ami le froisse, il ne dit rien. Un membre de sa famille le froisse, il ne dit rien.
Il laisse couler, absolument systématiquement, même quand moi je bouillonne, quand j’insulte à sa place, quand j’aimerais qu’il dise à l’autre que tel ou tel reproche est absolument injuste !
Ce n’est pas moi ! Pas parce qu’on ne peut pas discuter avec moi et que je suis super chiante, c’est lui qui garde le silence en toutes circonstances.
Je suis partagée entre le soulagement et un peu plus de colère. Parce que j’ai passé beaucoup beaucoup de temps à me miner avec ça et à me remettre en question, alors que dans ce cas précis, il ne s’agit pas de moi, mais de son fonctionnement à lui.
Je reste encore un moment dans notre lit à songer à tout ça. Je suis très contrariée, tout ça me reste en travers de la gorge, vraiment.
Comment pourra t-on survivre en tant que couple aux aléas de la vie si il ne parle pas, s’il ne dit jamais stop, s’il ne parle jamais le fond de sa pensée ? Avec sa mère ou son vieux pote, ça n’a pas la même incidence, mais nous on vit ensemble, c’est du suicide de couple à petit feu !
J’ai l’impression de porter à moi seule la charge de garder un couple sain, ça n’est pas la première fois que je me fais la réflexion. Antho est un partenaire de vie extraordinaire, je le pense et le lui dit souvent. On a toujours eu une excellente entente naturelle et on a travaillé à toujours plus d’équité dans notre couple, surtout après la naissance d’Indie, où la charge mentale me pesait sur certains aspects du quotidien.
Il vit avec une féministe et il vit avec sa fille, prendre conscience de tout ça était vital pour notre couple, je n’en aurais pas accepté moins. Ça lui a valu quelques explosions de ma part quand j’estimais être profondément lésée, mais on a a toujours avancé ensemble. Ensemble contre le problème, ensemble contre tout. Ensemble, mais toujours à mon initiative.
Je comprends ce matin que ce souci de communication devra être réglé, et que probablement, comme pour ce qui l’a déjà été dans le passé, il faudra que JE sois le moteur. JE devrai aborder le sujet, JE devrai veiller à ce qu’on reste vigilants. Je trouve ça un peu injuste.
Pour l’heure je n’ai pas la force, ni la patience. Je voudrais juste que la colère s’en aille, parce que c’est le sentiment que je déteste le plus au monde. Je hais la colère. Je hais plus encore que la personne que j’aime le plus au monde en soit la cause.
Je sors du lit et reste quinze minutes sous une douche brûlante.
Sous l’eau les larmes ne se voient plus.
On part au cinéma.

15 mars
JE NE PEUX PLUS SAQUER MA TÊTE. Je me trouve tellement moche. De la tête au pied, je regarde bien, mais je ne vois honnêtement rien qui aille.
Heureusement, mon esthéticienne, qui était en arrêt maladie depuis un moment a repris. Je l’aime beaucoup, elle est tellement lumineuse, pétillante, c’est un soleil. Pourtant, elle traverse d’immenses difficultés de santé. Elle souffre d’endométriose et multiplie les opérations pour essayer de vivre mieux et de tomber enceinte. Ces derniers mois elle va de mal en pis, les mauvaises nouvelles s’enchaînent, les opérations révèlent toujours quelque chose de pire que prévu, la laissant épuisée physiquement et moralement.
Elle me bouleverse toujours, de force, de résilience, d’espoir et surtout de gentillesse. La dernière fois que je suis allée la voir j’étais enceinte d’un mois et demi, et je suis ressortie en pleurs. J’ai filé à la cathédrale et j’ai prié pour elle. Je ne prie presque jamais, je ne crois pas en Dieu. Mais j’aimerais qu’il y en ait un pour exaucer les gens comme elle. J’aimerais qu’elle ait un bébé ou autant qu’elle le désire, parce ce serait une mère formidable, je le vois bien.
Là je ne pourrai pas cacher mon ventre, et je ne crois pas qu’elle le voudrait, mais j’appréhende quand même un peu de lui dire que je suis enceinte. Je n’ai aucune idée de ce que sont les problèmes d’infertilité, je ne pourrai jamais comprendre ce qu’elle vit. J’ai l’impression que de dire “je suis enceinte” équivaut à un “je suis enceinte et pas toi”, ça me fait mal au coeur.
Je décide de faire simple, j’arrive au RDV, elle m’accueille avec son grand sourire habituel, j’enlève mon gros manteau et je balance : “je suis venue avec un copain !”
Elle sourit, se réjouit pour moi. On discute, elle s’occupe de mes sourcils, elle me raconte l’avancée de son combat contre l’endométriose, les nouvelles ne sont pas bonnes, on parle encore un peu, elle me montre le résultat de l’épilation et moi je me sens un peu plus belle.
Elle fait cet effet aux gens. Pas parce qu’elle épile bien les sourcils ein, mais parce qu’elle rend beau ce qui l’entoure. C’est une belle personne, une belle âme, ça irradie de tout son être.
Je relativise sur le concept de la beauté, de mon physique plus ou moins acceptable à mes propres yeux. Je prierai encore pour elle et je me réjouis d’avance du jour où elle me dira qu’elle attend un bébé.

16 mars
Antho a rendez-vous avec le commercial d’un projet immobilier neuf qui se construit juste à coté de chez nous. Depuis le début de cette grossesse, c’est l’une des choses à laquelle on pense beaucoup.
Où habiter dans les mois et années à venir ? On vit dans un trois pièces super cool et grand mais qui n’a que deux chambres. On se dit qu’on dormira les premières semaines avec le bébé, puis qu’il pourra basculer dans la même chambre qu’Indie un peu plus tard. Je ne suis vraiment pas convaincue que cela fonctionne puisqu’ils ne seront pas au même rythme pendant un moment, et la chose que je redoute encore plus qu’un gosse éveillé au milieu de la nuit, c’est deux gosses réveillés au milieu de la nuit.
Je crois qu’avec Antho on a cru mourir de fatigue parfois les deux premières années de vie d’Indie. Je reste d’ailleurs persuadée que c’est complétement possible et que la privation de sommeil est un outil de torture redoutable.
Ce qui nous avait aidé c’est de pouvoir se relayer et se retrancher dans une pièce calme en temps de crise nocturne ! On s’organisait des rondes de garde : je prends la première heure, toi la seconde et ainsi de suite… Avec seulement deux chambres pour quatre, on ne pourra pas vraiment fonctionner de cette façon, alors c’est vrai qu’on réfléchit beaucoup à la possibilité de déménager pour plus grand.
Nous sommes locataires. Principalement parce que nous sommes instables, imprévisibles et changeants. On met de l’argent de côté depuis un petit moment, et souvent on fait semblant de croire que ce sera un apport pour un appart ou une maison. Une voix au fond de moi me dit plutôt que ça sera de l’argent pour faire un truc un peu fou comme partir faire le tour du monde en famille d’ici 3-4 ans. Il le sait aussi et on sait que l’autre sait.
Je jette un oeil au site du programme immobilier en question et mon excitation est proche du néant. Acheter sur plan me semble fou, genre tu achètes une projection de vie, de foyer. Je ne manque jamais d’imagination mais ça, ça me laisse froide…
L’immeuble en question propose des apparts basiques, certains avec des petits balcons et d’autres avec de belles terrasses, pour un prix exorbitant. Je dis à Antho que ça nous ressemble pas trop. Il conteste mollement en me disant que ça coûte rien de rencontrer le gars.
Puis est-ce qu’on est sûrs de vouloir rester vivre ici ? Depuis qu’on se connait on a déménagé tous les deux ans, desfois pour mieux, desfois pour moins bien, toujours pour l’aventure de l’inconnu. On a vécu dans un quartier populaire du 20e à Paris, puis sur l’une des avenues les plus chères du monde tout proche de l’Elysée, puis dans une cité dortoir du 77 dans un appart miteux où l’on a cohabité avec des souris plusieurs mois, puis chez mes parents à la campagne pendant le covid avant d’atterir ici dans cet appart à la vue dont on ne se lasse pas.
Je lui dis souvent que je serai heureuse avec lui même dans une cabane au milieu des bois. En vrai, cette promesse ne serait pas si dure à tenir, j’aime la nature, les arbres, le calme et la solitude.
Par contre, est-ce que je serai heureuse avec lui dans un petit appart neuf acheté sur plan ? Est-ce que je serai heureuse si l’on s’était endêtés sur 25 ans pour vivre la vie que beaucoup vivent mais qui ne nous a jamais attirée ? Que s’est on vraiment promis l’un l’autre ? Que s’est on vraiment promis à nous-mêmes ?
Ça être quoi notre vie à quatre ? Ça va être où ? Ça va être heureux ? Je n’en ai absolument aucune putain d’idée. Mais j’ai hâte !
Ma maison c’est lui et ma fille. Bientôt, lui, ma fille et un nouveau membre de la team.
PS : pari avec moi-même que ça finit en tour de monde le bordel.
18 mars :
On fête l’anniversaire de A. Je covoiture avec J et son mec, et sur le trajet on ne parle que de nos grossesses. Je n’en reviens toujours pas qu’on soit enceinte en même temps, à quelques semaines d’intervalle. On vit tout ça très différemment, c’est fou. J a des nausées qui lui pourrissent la vie et a pris, selon elle, beaucoup de poids.
Ça l’inquiète, mais je sais que pour le moment, elle vit sa grossesse avec beaucoup de joie et de projection, je la sens très investie émotionnellement. Moi, j’avance c’est vrai, mais je n’aborde pas le sujet avec le même entrain, j’ai toujours cette retenue, cette pudeur, cette envie qu’on ne remarque pas que je suis enceinte.
Son mari aurait plus tendance à être comme moi. Il est assez silencieux sur le trajet, je crois que c’est moins évident pour lui d’être enthousiaste ou de verbaliser ce qu’il ressent. Je le répète souvent, mais chacun a son rythme sur ce genre de choses, et là, on est trois sur trois rythmes différents.
Leur fille est dans son siège à côté de moi, elle a pris avec elle Jean-Christophe, une poupée qu’elle a depuis toujours, dont le nom improbable me fait marrer. Je crois que, comme sa maman, elle est de toute évidence très investie aussi.
On passe une bonne soirée, je mange trop, on rigole bien. Antho me manque, j’aimerais qu’il soit là. La colère qui débordait de tous les pores de ma peau il y a quelques jours n’est plus là. Je ne sais pas trop pourquoi puisque nous n’avons pas abordé le sujet de fond, mais je me sens apaisée.
J’adore mon mari, je l’ai déjà dit ?
23 mars :
J’ai passé commande à un fournil du coin. Un pain au petit épeautre, réputé pour ses nombreux bienfaits, et une brioche. Je digère mieux ces derniers temps, rien à voir avec quelques semaines en arrière, mais j’ai encore du mal à canaliser mes pulsions alimentaires.
Je surcompense, j’ai envie de tellement de choses, j’ai tellement de frustrations à “assouvir”, je me sens un peu hors de contrôle. La nourriture est au coeur de mes préoccupations depuis plusieurs mois et j’en suis fatiguée, lasse.
Je me laisse encore un peu de temps pour essayer de réguler ça toute seule, de trouver des solutions par moi-même, puis si je n’y arrive pas il faudra songer à aller consulter quelqu’un pour en parler.
Je ne sais pas vraiment qui, parce que je sais bien manger. Je sais manger équilibré, d’ailleurs je prévois chaque semaine les repas à l’avance, par souci d’économie, de ne pas gaspiller et aussi pour ne pas déborder dans un moment de grande faim.
Mon souci actuel c’est vraiment la compulsion, ce que je mange sans faim et au delà de mes limites. Cela m’arrive quand je me sens un peu débordée émotionnellement, mais j’arrive toujours à retrouver un équilibre au bout de quelques temps.
Alors là, je cherche des solutions pour ne pas nourrir ma frustration sans me flinguer le bide et le moral.
Que puis-je manger qui est un bon compromis entre ce qui me fait envie et ce qui n’est pas trop mauvais pour le corps ?
Ces derniers jours je me suis beaucoup renseignée, particulièrement sur les aliments qui me déclenchent : le pain, le fromage et le sucre, surtout les gâteaux industriels plein de merdes. Je note plusieurs recettes de muffins diététiques, sans gras et sans sucre ajouté, le fromage, je n’achèterai que ceux qui ne déclenchent pas de pulsions, et le pain on va faire au moins pire.
Donc je commence là, avec ce pain au petit épeautre et cette brioche, bien déterminée à ne pas laisser la situation devenir complétement hors de contrôle.
À suivre.

24 mars :
C’est parti pour la prise de sang mensuelle, celle pour laquelle je me fais du souci depuis trois jours déjà. Je ne sais pas si les gens captent bien ce que c’est que cette phobie des veines et de l’intraveineux. Elle est souvent confondue avec la phobie du sang ou des aiguilles : l’hématophobie. Mais moi je ne me reconnais pas du tout là dedans, je n’ai pas peur du sang ou des aiguilles. Tu peux me piquer où tu veux, je m’en moque. Ce qui m’est insupportable c’est la vue des veines, et tout geste qui implique l’introduction de quoique ce soit à l’intérieur.
Je ne peux pas tellement détailler cette drôle de phobie, qui d’ailleurs n’en est pas vraiment une puisqu’il ne s’agit pas d’une peur, mais de quelque chose de complétement différent, entre le dégoût et un sentiment inexplicable de ne “pas supporter”.
Comme avant chaque prise de sang, je dis à Indie que je dois y aller mais que je n’ai pas du touuuuuut envie avec une mine exagérément et volontairement dramatique. Elle vient à chaque fois près de moi avec son petit sourire, m’explique que c’est obligé et me “donne plein de courage” en faisant mine de le déposer dans mes mains comme par magie.
Elle est très branchée magie en ce moment, elle demande tout le temps à son père de lui faire des tours, et je le vois essayer de l’éblouir avec des tours qui n’en sont même pas, mais qui font la blague quand tu as quatre ans. “Encore un, encore un papa ! ”
Parfois j’essaye de lui faire comprendre que son père n’est pas magicien et que c’est un vrai travail compliqué d’apprendre des tours, mais qui a envie d’entendre ça franchement ? Même moi je crois à la magie parfois, on a tous besoin d’y croire !
Une fois au labo au moment crucial, je ferme les yeux et je pense très fort à sa bouille d’amour, ses petites joues rondes, ses yeux brillants, son sourire craquant et ses mains potelées qui me donnent du courage.
Et ça marche, ça me donne du courage.
Merci ma petite magicienne.
25 mars :
J’ai commencé à écrire ce journal de bord en me disant que ça me ferait du bien. Je veux absolument consigner le maximum de choses, de pensées, de sentiments, de souvenirs ici, parce que c’est vrai qu’on oublie vite. On garde le souvenir global de nos grossesses, on se souvient très bien des moments clefs, mais le reste est flou après quelques années.
Moi je veux pas oublier. Parce que c’est phénoménal, parce que c’est dur, parce que c’est fou, parce que c’est tellement d’états qui se succèdent et cohabitent que ça mérite d’être raconté ! Parce que j’aurai peut-être envie de relire tout ça un jour et que je serai bien heureuse de l’avoir fait !
Je crois que j’ai commencé sans autre but précis que celui là, mais je crois aussi que finalement, il sera partagé ce journal de bord. Un paradoxe pour moi qui ai tellement de pudeur et de réserve, mais j’ai toujours trouvé qu’il était plus facile de se raconter à l’écrit. Surtout pas par lâcheté, plutôt par souci de clarté et de discrétion je crois.
Je sais que mon histoire n’est pas celle des autres, elle est unique. Mais j’écris sur la grossesse depuis cinq ans et, par expérience, j’ai appris que témoigner de ce que l’on vit peut parler et aider d’autres femmes. On s’aide d’abord soi, puis d’autres. J’aurai certainement un peu l’impression d’ouvrir la porte de chez moi à poil pour y laisser rentrer plein d’inconnus, mais je crois que ça vaut la peine.
Je ne sais pas quand, mais le moment venu, j’uploaderai ce journal de bord sur mon site, et qui voudra lira.
Qui sait, peut-être l’une d’entre vous se dit en lisant ces lignes : t’as bien fait Maude, merci, t’es une fille cool, laisse-nous te couvrir d’or, de fromage et de chocolat !
Mais promis, je continuerai de l’écrire comme si il n’était destiné à personne d’autre que moi.
Je suis une autrice intègre.
27 mars :
RDV sage-femme mensuel ce matin. J’attends presque trente minutes en salle d’attente, comme les fois précédentes malgré qu’il ne soit que 9h30. On déroule une séance classique : petit topo général, check des analyses de sang, passage sur la balance, prise de tension et écoute du coeur du bébé.
J’ai pris 2,3 kilos ce mois-ci. Je sens bien qu’elle tique un peu comme la fois précédente. Je lui explique rapidement que j’ai eu affaire à quelques pulsions hyperphagiques ces dernières semaines en réponse à ma frustration de n’avoir rien mangé / digéré pendant dix semaines. Elle acquiesce mollement, me signifiant probablement qu’elle accepte ma justification.
On reparle rapidement du test de dépistage du diabète gestationnel, je ne souhaite toujours pas le faire. Elle note “GPO impossible” sur le petit dossier qu’elle remplit à chaque RDV et me prescrit quand même un dépistage à jeun de la glycémie pour le mois suivant, pour vérifier que les signaux restent au vert.
Je me dis que j’irai le faire à jeun de 15h pour être sûre, haha !
28 mars :
Ça fait environ deux semaines qu’Indie est difficile de nouveau. On sait que la grossesse et l’arrivée d’un bébé doivent la travailler, donc on est pas vraiment étonnés. Je répète quotidiennement à Antho que ça va passer. D’expérience, avec Indie, on est généralement sur des phases qui durent deux à trois semaines. Puis ça part comme c’est venu.
Cette fois, on est sur une passade d’insolence et de rejet de son père. C’est maman pour tout, surtout le matin au réveil où elle refuse qu’Antho s’occupe d’elle, lui donne son petit déjeuner, l’habille etc…
Je ne sais pas exactement pourquoi elle le repousse comme ça, mais ça l’affecte beaucoup. Alors on parle, tous les jours. J’essaye de comprendre, je lui demande si tout va bien, si elle est inquiète de quoique ce soit, je lui répète qu’on l’aime et qu’on est là pour elle mais que ce comportement va devoir s’arrêter rapidement.
Dans notre couple parental, Antho a une place aussi importante que la mienne, on est parents au même titre en tant que père et mère, mais si il demeure encore une différence qui me pèse, c’est celle de l’autorité. “Autorité” je n’aime pas trop ce mot en vrai, mais si il y en a une figure chez nous, c’est moi. Et parfois ça me pèse, particulièrement quand le problème a lieu entre Indie et Anthony, mais que seule mon intervention y mettra fin.
Je ne suis pas du tout d’accord pour être le bad cop de la maison, hors de question d’alimenter le cliché de “papa est un copain et maman une emmerdeuse”. Sans moi.
Alors ce matin, quand j’ai du intervenir une fois encore parce que la situation dégénérait et qu’il n’arrivait pas à la résoudre, ça a été la fois de trop. J’ai perdu patience, j’ai sermonné Indie sur le chemin de l’école, sur son comportement des dernières semaines. J’ai parlé séchement, durement, sous le coup de deux semaines non stop de tensions, et j’ai vu ses petits yeux se remplir de larmes et son visage se retenir de pleurer de toutes ses forces.
J’ai trouvé ça tellement injuste. Mais tellement. Je n’ai pas envie d’être celle qui fait pleurer ma fille, encore moins pour une situation que je ne devrai pas avoir à gérer puisque de base, elle ne me concerne pas. Il s’agit du comportement de ma fille avec son père.
On ne se quitte jamais fâchées, on fait un gros câlin avant que je ne la laisse entrer dans sa classe et je n’ai qu’une envie, annuler toute ma journée et la garder avec moi. C’est ça être mère desfois. Perdre pieds cinq minutes et se fustiger tout le reste de la semaine.
En sortant de l’école, Antho prend le reste sur WhatsApp. Je lui dis que c’est injuste et que j’en ai ras le cul de gérer son incompétence en matière d’autorité avec sa fille. Je crois que je ne suis pas très sympa, j’y mets pas les formes, mais je bouillonne.
Je ne peux pas être la seule à fixer des limites, des règles, à trouver les mots justes, à chercher des solutions quand on traverse des petites crises comme celle-ci. Je passe du temps à lire des trucs, à me renseigner. Je ne peux pas toujours être la réponse ni la solution. Et je ne VEUX pas. Il est désolé. Je sais qu’il l’est sincèrement et qu’il est un peu dépassé par la situation.
J’arrive en centre-ville pour rejoindre mon espace de co-working chargée d’une énergie…électrique ! J’ai très envie d’un jus d’orange pressé, comme souvent ces derniers jours, alors je m’arrête chez Paul en chemin. Après plusieurs essais, la vendeuse m’annonce désolée qu’elle n’arrive pas à faire fonctionner la machine. Je repars bredouille. Je vais dans une autre boulangerie, ils ne font pas de jus pressé, mais je vais me rabattre sur un pain au chocolat, toujours sur ma “to eat list” depuis un bail. Je prends également un pain de seigle et vais pour payer en carte. On essaye environ dix fois, le terminal bancaire ne fonctionne pas.
Bon, je ne sais pas tellement comment l’expliquer, mais parfois, il arrive que je “casse” des trucs. Je fais planter les ordi, je fais buguer la box, je dérègle les montres que je porte etc… Là je suis tellement remontée que je suis en train de péter toute la ville.
La boulangère a pitié et me propose de revenir payer plus tard. J’arrive à mon co-working et le wifi ne marche plus. J’explique à mes voisins de bureau ma matinée jusque là et que j’en suis probablement responsable ! Je raconte mes mésaventures à Antho.
Une petite demi-heure plus tard, je reçois un message : “Descends.” Il m’attend en bas avec une bouteille de jus d’orange pressé et du cash pour aller payer la boulangère.
Je l’ai mérité ein, mais c’est vachement mignon quand même. Et je m’apaise.
La ville est sauvée.

30 mars :
C’est le jour tant attendu de la deuxième échographie ! Antho est surecxité depuis plusieurs semaines, il se languit, me dit que l’attente est trop longue et qu’il ne tient plus. On va enfin savoir avec certitude si nous attendons une fille ou un garçon. Je sais que certains parents s’en contre fichent et je comprends parfaitement l’idée que fondamentalement ça ne change rien, mais pour nous il est impensable de ne pas connaitre le sexe du bébé.
Aussi, on attend fébrilement de savoir si oui ou non mon placenta est bien remonté, et par conséquent si on peut partir en vacances à Malte tranquillement, si je peux reprendre un peu le sport et si on peut de nouveau jouir de nos privilèges maritaux, aka peut-on coucher ensemble ?!
Dr S. nous appelle, on rentre dans la salle, un jeune homme est là également. Il ne se présente pas et elle ne nous le présente pas. L’enquête est vite résolue, il porte un badge “interne”. Sa présence ne me dérange absolument pas, je comprends la nécessité pour eux d’assister à un maximum de consultations, mais ça me démange fort de dire que la base est toujours de se présenter et d’expliquer les raisons de sa présence. Je le questionne rapidement, c’est un tout jeune interne qui se balade de service en service pour le moment sans avoir choisi sa spécialité.
Coup de stress, la gynéco me demande qui a reçu les résultats concernant le dépistage de la trisomie, je lui réponds que c’est elle. Visiblement non, sinon elle ne demanderait pas…c’est quoi ce bazar ? Elle fouille à droite à gauche, ne trouve rien et sort vérifier auprès de sa secrétaire. Je regarde Antho qui pense la même chose que moi : svp, dites-nous que quelqu’un a vu ses résultats et qu’il sont bons !
Elle revient finalement avec le papier et nous indique que tout est ok.
Je m’installe et on commence l’échographie. Rester allongée sur le dos m’est très très pénible, ça me fait très mal au bassin et surtout ça me compresse je ne sais quoi et je suffoque rapidement. Elle regarde tout, en détails, en profondeur, commentant tout haut pour l’interne qui est là. Il pose pas mal de questions, je n’en comprends aucune, mais l’examen n’en est que plus long puisqu’elle lui montre plein de choses et lui expose différents cas de figure.
Le bébé a tout ce qu’il faut où il faut, le placenta est bien remonté et idéalement placé. Bref, tout va bien. Moi je galère à respirer alors on ajuste l’inclinaison du siège.
“Vous voulez connaître le sexe ?
- Ouiiiii !
C’est un petit garçon.”
On sort du RDV super enjoués : notre bébé va bien, on peut partir en vacances, je peux reprendre une vie “normale”, c’est le tiercé gagnant. Toute la journée Antho répète tout haut, comme pour bien intégrer l’information : “ On va avoir un fils, on va avoir UN FILS.”
Je songe déjà à tout ce que cela implique, mais repousse cette réflexion à un peu plus tard.
À 16h30, on récupère Indie à la sortie de l’école et on l’emmène goûter dans un petit potager partagé juste à côté. Elle adore y aller, y’a souvent un petit chat qui vient essayer de grapiller quelques miettes de biscuits.
“On a vu le docteur ce matin babou, on sait si tu vas avoir un petit frère ou une petite soeur ! Tu veux essayer de deviner ?
…un petit frère ?
Ouiiiii !”
Sa bouille, entachée de gâteau au chocolat est un mélange de joie, d’émotion et de pudeur.
Bordel, que je l’aime cette petite personne !
Et je vais en aimer une deuxième aussi fort ?! Bordel, ça va être fou.
Bor-del.

31 mars :
Ça fait plusieurs années que j’écris autour de la maternité, plus particulièrement sur la grossesse. Mon premier livre a deux ans et demi et je travaille sur le second depuis un an et demi. J’ai mon instagram dédié et mon podcast également.
Tous ces projets ont été une grande source d’épanouissement personnel, d’introspection et m’ont donné le sentiment très satisfaisant de faire quelque chose d’utile. Par contre, si je regarde objectivement le ratio temps / énérgie consacrés et ce que cela m’a rapporté financièrement, ce n’est absolument pas rentable.
Lorsque j’ai commencé à travailler sur mon projet de deuxième livre, je m’y suis lancée à l’aveugle, en me disant que, comme pour mon premier, le contenu et la forme évolueraient au fil des mois, au gré de mes recherches et de mes échanges.
18 mois plus tard, porter ce projet seule est devenu assez complexe et j’ai hâte d’en accoucher.
18 mois, c’est l’équivalent de deux grossesses entières, je crois que c’est assez parlant ! J’en suis à un moment de ma vie professionnelle où j’ai besoin d’un succés. Je ne suis pas quelqu’un qui place la “réussite” au dessus de tout, en tous cas pas la réussite telle qu’on peut la définir de manière un peu standard : argent, reconnaissance des pairs, statut important etc… je connais ma valeur en tant que personne et elle est bien distincte de tout cela.
Seulement, depuis que j’ai fait passer la musique après ma vie personnelle en 2017, je me traîne comme un vide. Je me questionne beaucoup sur mon rôle dans la societé, sur mes capacités en général, sur mes talents. Moi Maude, j’ai quoi à apporter, j’ai quoi à faire, j’ai quoi à vendre ?
J’y pense énormément, je pars un peu dans tous les sens, je cherche à comprendre comment je peux concilier ce que je sais faire avec ce que j’aime faire, le tout dans la vraie vie, où on a besoin d’argent pour vivre bien.
À ce jour, je ne suis pas encore parvenue à trouver cet équilibre de vie et ça me frustre beaucoup. J’ai pas mal de blocages, un paquet de pensées limitantes et myriades d’excuses que je me sers quand bon me semble. J’ai beaucoup de mal à affirmer ma valeur et j’y travaille, mais si le syndrome de l’imposteur devait avoir un visage, ce serait le mien, placardé en 4 par 4 sur tous les panneaux publicitaires de France et Navarre.
Maintenant que nous allons avoir un autre enfant, je vais devoir trouver des solutions pour rendre mes activités viables. Je veux gagner de l’argent en faisant ce qui me plait, pas parce que c’est un goal de vie, mais parce que je le mérite et que ce cercle vicieux a assez duré.
Je me souviens il y a quelques années d’une séance chez un magnétiseur. Il m’avait dit que j’étais quelqu’un qui disait oui à tout le monde sauf à elle même. Que j’étais quelqu’un qui niait ses propres limites pour faire plaisir aux autres, peu importe leur place dans ma vie. Que j’étais quelqu’un qui donnait sans jamais prendre en retour.
À la fin de la séance, on tournait une sorte roulette chez ce praticien pour déterminer le montant de la séance : ça allait de gratuit jusqu’à 70€ par tranche de 10. J’ai tourné la roulette et c’est tombé sur la somme maximum. Il a souri et m’a dit : “Vous voyez ?” Ça m’a marquée parce que tout était absolument juste et que me défaire de ces mécanisme est infiniment long.
J’écris des livres pour 3 francs 6 sous, je fais des podcasts gratuitement, du contenu réseau social gratuitement, je conseille gratuitement. La musique c’est devenu pareil : je produis mes titres, je les finance, mais ils ne rapportent pas suffisamment.
C’est un paradoxe intéressant parce que d’une certaine manière, tout ça me nourrit intérieurement, mais de l’autre, ça ne met rien dans mon assiette. Au final, j’ai un sentiment d’échec constant, que je me traîne comme une fatalité, une malediction.
C’est donc un objectif précis et prioritaire que je me suis fixée pour les mois qui arrivent : cesser d’être une putain de mère Thérésa et gagner de l’argent avec mon travail.
Cet aprem, j’ai une visio avec une maison d’édition concernant mon livre sur l’accouchement, puis une autre avec une seconde maison d’édition dans quelques jours. Les deux sont intéressées par le projet et, à ce stade, je ne peux pas aller plus loin sans un éditeur, faute de moyens.
Il faut que ça marche, il faut que ça morde, parce que là, j’ai besoin d’un succés, j’ai besoin d’envoyer à l’univers un signal qui dise : j’entre dans une nouvelle ère, celle de l’accomplissement. J’avance, j’évolue, je suis talentueuse et dorénavant, ce sera ma juste valeur ou rien.
Et le petit imposteur tapi dans ma tête pourra bien aller se faire foutre.
5 avril :
Je suis allée au sport avec Antho ce matin. Une pote coach sportive m’a filé un petit programme de marche rapide de 45mn avec différentes vitesses et inclinaisons. Très efficace, j’ai sué comme jaja et surtout, j’ai sécrété de bonnes endorphines qui bercent mon cerveau toujours en surchauffe.
Et bim, dans vos dents hormones de grossesse !
8 et 9 avril :
C’est l’anniversaire de ma mère aujourd’hui, et accessoirement le week-end de Pâques, la double occasion parfaite pour aller rendre visite à mes parents.
Cette petite visite est prévue depuis un bail, il se trouve que c’est chez eux qu’on a stocké tout ce qu’on avait décidé de garder d’Indie. Les années passant on ne sait pas exactement ce qu’on va retrouver, mais sûrement deux trois trucs utiles qu’on aura pas besoin de racheter et qu’on ramènera chez nous.
Mes parents vivent à la campagne et leurs dépendances ont chaque printemps d’adorable squatteuses ailées, j’ai nommé les tourterelles ! Elles viennent faire leur nid et en profitent pour chier impunément sur toutes nos affaires, qui sont maintenant ornées de fientes séchées. La plupart sont bien emballées, espérons que ça porte bonheur !
On met des gants et on commence à tout sortir dans le jardin, y’en a partout. Il fait super beau et bon, c’est super agréable.
Depuis la naissance d’Indie on a déménagé trois fois, donc autant dire qu’au fil de nos déplacements on a toujours fait beaucoup de tri, on a vendu, donné, jeté pour ne garder que l’essentiel. Ceci dit, même si ma réflexion concernant un deuxième enfant a été longue, on a quand même voulu garder certaines choses “au cas où”.
On ouvre les boites une par une, excités d’en découvrir le contenu, comme des petites capsules temporelles qui contiennent des tas de souvenirs, pas si vieux, mais déjà brouillés. C’est fou, à chaque petite fringue, chaque body, chaque pull, chaque veste, les images me reviennent. Une anecdote, une situation, une occasion est associée à chaque vêtement et mes zygomatiques sont au taquet.
Depuis qu’on est devenus parents, je réfléchis beaucoup au temps qui passe. Je trouve que la maternité est l’illustration parfaite que le temps n’est pas linéaire, qu’il fluctue, s’étire, fait des boucles, se fige, accélère… Ouvrir toutes ces boîtes et retrouver tous ces vêtements en est une preuve supplémentaire.
Indie a quatre ans et dans l’absolu c’est passé vite. Ça va même de plus en plus vite et je me sens parfois dépassée par le mouvement constant qu’elle amène dans nos vies.
Mais parfois, le temps m’a semblé si long. Les mois / années où le sommeil nous a manqué cruellement, les hivers passés sous ventoline et flixotide parce qu’elle faisait de l’asthme du nourrisson, sa première gastro, interminable, qui avait duré plusieurs semaines, les heures cumulées au pied de son lit à chanter ou rassurer jusqu’à ce qu’elle s’endorme, le tunnel du soir quand elle était plus petite et nous sollicitait sans cesse…
Maintenant on sait. On sait que ça va être drôlement long desfois, mais que toutes les phases compliquées finiront par prendre fin. Et je ne sais pas si le cerveau est bien fait et l’âme une éternelle optimiste, mais là j’ai hâte. J’ai envie de revivre toutes ces étapes, d’en profiter, de les vivre à fond et même de ne plus les supporter et d’attendre la prochaine avec impatience.
J’ai hâte de revivre le processus complet, de repartir pour la folle aventure, avec mes personnes préférées au monde, mon mari et ma fille.
On passe l’après-midi entier dehors, à tout sortir, re-trier, réorganiser, nettoyer… On a des fringues, c’est là qu’on est encore plus contents d’avoir très peu genré les vêtements d’Indie, poussette, siège auto, une chaise évolutive, un lit parapluie, un berceau…
On charge la voiture à bloc et on se congratule, dos en vrac et vannés.
Le lendemain, on fête l’anniversaire de ma mère, on cache des chocolats dans le jardin qu’Indie débusque à la vitesse de la lumière et on prend la route du retour.


10 avril :
C’est bien mignon de ramener plein de trucs de chez mes parents, mais encore faut-il leur trouver une place chez nous. On kiffe notre appart mais il a un défaut majeur : il n’a pas de cave. Tout ce qu’on possède doit donc rentrer impérativement dans les pièces de vie.
Et je kiffe Antho mais il a un défaut majeur : c’est un accumulateur un peu bordélique qui a des hobbies encombrants. Evidemment de par son métier de photographe, on a beaucoup de matériel à la maison, boîtiers, objectifs mais aussi de nombreux disques durs et câbles.
Son côté accumulateur le pousse également à garder de vieux téléphones qui ne marchent pas, de vieux iPads, de vieux ordi. Il possède également un énorme sac de sport rempli de badges de tous les évenements auxquels il s’est rendu au fil de ses 15 ans dans le métier.
Puis il aime aussi l’astronomie alors on a un télescope, énorme. Bref, le gars n’est pas épais, mais il prend de la place !
On passe notre lundi de Pâques à réorganiser nos rangements, à essayer de voir où et comment on pourra faire rentrer les affaires de notre fils. C’est un casse-tête sans solution autre que : faut ENCORE trier ramener les trucs dont on se sert pas souvent chez mes parents. C’est les boîtes de stockage musicales, le jeu le plus redondant et ennuyant de l’univers.
Au milieu du chaos d’affaires étalées partout, je balance une idée à Antho : faudrait qu’on switche les chambres. La notre est grande et pourra facilement accueillir deux enfants. Nous on dormirait donc dans l’actuelle chambre d’Indie, plus petite mais largement suffisante pour nous deux.
On se dit qu’on pourrait faire ça d’ici la fin de l’année, parce qu’au début le bébé dormira avec nous et qu’il est compliqué de dire au bout de combien de temps on pourra le faire dormir avec sa soeur. Il trouve que c’est une bonne idée !
Est-ce que la cohabitation avec Indie se passera bien ? Est-ce que si le bébé pleure elle sera réveillée aussi ? Il faudrait qu’on pense à acheter un fauteuil également pour les nuits quand il faudra le bercer. Il lui faudra aussi un lit à barreaux, mais on peut pas l’acheter trop tôt vu qu’on peut rien stocker, c’est lourd. Indie voudrait changer de lit bientôt, il faudrait qu’on garde le sien pour son frère plus tard mais il y dormira pas avant ses 3 ans, on va le foutre où avant ?
Quelqu’un aurait une cave à nous prêter, un appart plus grand à nous louer ou un million de dollars à nous filer ? Putain, j’ai des noeuds dans la tête.
Je prends un Doliprane.
11 avril :
J’ai fait un rêve. Très “Mummy Luther Queen”, sans les enjeux ni les talents d’oratrice.
Dans ce rêve, j’ai déjà accouché de mon fils, sans savoir précisément quand, et ne sais pas où il est. Soudainement, je me souviens de son existence et m’inquiète de savoir où est donc passé l’enfant. Je commence à le chercher partout, dans une maison qui n’est évidemment pas la mienne sans que ça me semble bizarre (typique dans les rêves lol) et me rappelle que je l’ai confié à un vague membre de ma famille.
Je me précipite de pièce en pièce, cherche partout, me demande depuis combien de temps il est tout seul, depuis combien de temps je ne l’ai pas allaité et si il est encore en vie. Je finis par entrer dans une pièce pleine de cartons et de bordel et aperçois le petit berceau sous une pile de cartons.
Mon coeur s’arrête, je me précipite dans sa direction, jette tous les cartons qui sont entassés sur lui, et le découvre en dessous. Je me fige une seconde et l’observe, tremblante. Il a les yeux ouverts, me regarde et gazouille. Je respire de soulagement.
Mon bébé, mon amour, mon tout petit, il va bien. Je suis frappée par la force de mon amour pour cet enfant dont j’avais oublié l’existence il y a quelques secondes de ça.
Puis, je me réveille, perplexe.
Lors de ma première grossesse, j’ai fait ÉNORMÉMENT de rêves de ce genre, tous plus fous et étranges les uns que les autres. Leur point commun : j’avais un bébé dont je ne m’occupais pas parce que je l’avais oublié, et je finissais par retrouver dans un endroit inapproprié et improbable.
Je ne sais pas exactement ce que ça signifie. Peut-être que mon subconscient veut être sûr que j’ai bien capté que j’attendais un enfant. Il se dit : “Ouh là, elle m’a pas trop l’air à fond celle là, faisons la flipper un peu !”
J’ai déjà accouché une fois, je suis à peu près certaine que c’est pas le genre d’évènement que tu oublies si facilement. Fais moi plutôt rêver de plages de sable fin, de soirées endiablées, d’aventures rocambolesques, les trucs que je vais VRAIMENT pouvoir oublier pour un bon moment !
Je suis pile à 5 mois de grossesse maintenant. Quand je regarde en arrière j’ai l’impression d’être déjà passée par tant de phases, c’est fou ! Les premiers jours où je réalisais pas, la période La chose, affreuse, les annonces anticipées, les premières fois où j’ai souri en voyant notre bébé, ma joie quand j’ai su que c’était un garçon, les problèmes de frustration alimentaire / hyperphagie…
Maintenant, là tout de suite, je me sens plus apaisée. Évidemment, je n’aimerai jamais être enceinte, j’en ai fait mon deuil, mais je sais que je suis dans la fenêtre de grossesse où c’est le “moins pire” !
J’ai des moments où je panique encore, où je me dis qu’on est en train de faire une dinguerie et que ça va être galère, mais la plupart du temps, j’imagine le futur à quatre avec excitation.
Bref, pas besoin de m’envoyer des rêves comme ça Mr Subconscient.

La semaine prochaine : Le mois 6