Maude Harcheb
LE MOIS 4
10 février
C’est les vacances scolaires ! On garde Indie quinze jours, on a prévu un petit programme sympa que j’espère avoir la forme de suivre. Fatigue is a bitch, mais je me rappelle qu’on a plus beaucoup de temps juste tous les trois et je veux profiter d’elle à fond. Profiter QUE d’elle avant que tout soit différent. C’est pas que pour elle d’ailleurs, c’est aussi pour moi.
Je sais que je ne suis pas la meilleure version de moi-même enceinte. Je ne suis pas bien, alors je suis plus dure à vivre, la patience me fait défaut. Je m’agace beaucoup plus vite au quotidien, je me trouve chiante, je pinaille sur des tas de trucs inutiles. Et quand je me vois faire je me déteste, alors je suis encore plus dépitée et c’est un cercle vicieux tout pourri.
Antho est au top, il fait pour deux ces dernières semaines sans jamais le faire remarquer. Il ne fait pas remarquer que je suis pénible non plus, il ne me reproche jamais mes excès d’humeur mais je sens que ça lui pèse.
Entendons-nous bien, je fabrique un être humain pour nous deux, en bonne féministe je trouve ça parfaitement normal qu’il assure pour deux lui aussi. Mais il le fait vraiment avec classe et ça ça n’est pas donné à tous.
Alors bon, j’ai envie de passer ces quinze jours avec eux, parce que même si je ne suis pas vraiment moi-même ces derniers temps, je les aime tellement fort. Mes préférés !

14 février
Daaaahhhrrrggggg je suis sur les nerfs. Je ne sais plus exactement ce qui m’a contrariée en premier lieu ce matin, mais je sais que je n’arrive pas à redescendre et qu’Antho m’énerve vraiment, mais vraiment !
Aujourd’hui est le genre de journée où t’as envie de te barrer loin sans rien dire à personne. J’ai envie d’être seule, au calme, sur une plage déserte, à ne me soucier de rien, boire des cocktails et fumer des clopes.
Au lieu de ça je suis à Happyland entourée d’une bande de mioches dans un lieu bruyant, criard, plein de microbes et qui pue des pieds.
Le comportement d’Antho me sort des yeux depuis deux jours. Je supporte plus son air stoïque / passif agressif quand je fais une remarque et je ne supporte plus qu’il chantonne en guise de réponse comme si je n’existais pas, qu’il ne me voyait ou ne m’entendait pas.
Ça me donne envie de lui exploser au visage pour que l’abcès soit crevé une fois pour toutes. Viens on se dit les choses une fois pour toutes ça nous fera peut-être du bien ! Je suis chiante ? Dis le ! Je te saoule ? Dis le ! T’en as marre ? DIS LE ! Mais ne fais pas comme si j’étais la femme invisible.
Alors je décide de ne plus lui adresser la parole non plus. On va voir si c’est agréable.
Et bonne St Valentin à tou.s.tes.
15 février
On a fait le premier achat lié à la grossesse ce matin. Un coussin de maternité. Ce boudin encombrant et plutôt moche qui te permet de passer de meilleures nuits en calant ton ventre. Ce truc avait vraiment sauvé mes nuits quand j’attendais Indie. Puis ça sert aussi après pour allaiter ou biberonner, un achat utile somme toute !
On s’est promenés dans le magasin après avoir choisi le dit coussin et c’est un peu comme une madeleine de Proust version maternité. Tous ces meubles, objets, gadgets qui sont venus envahir nos apparts (on a beaucoup déménagé) pour repartir au fur et à mesure du temps !
J’ai des flash, des bouts de vie qui défilent dans ma tête, Indie dans sa petite baignoire, Indie sur sa table à langer, Indie qui regarde son mobile… C’est retour vers le futur, un pied dans le passé et l’autre dans le futur proche.
Il me faut aussi vraiment un ou deux fûts de grossesse, parce que là je mets mes pantalons de d’habitude en les fermant avec un élastique, cette bonne vieille technique qui te permet de gagner un peu de temps, mais ça commence à être désagréable. C’est sympa, ça évite d’investir trop tôt mais ça a ses limites rapidos, surtout pour une seconde grossesse, où le ventre pousse vraiment plus vite.
Je regarde rapidement ce qu’ils ont en rayon, c’est vraiment cher pour des vêtements temporaires que je trouve même pas vraiment jolis…
D’ici peu on ira faire un inventaire chez mes parents, c’est là qu’on a stocké ce que nous avions gardé d’Indie et quelques fringues de grossesse aussi.
Indie essaye un siège auto, le sien sera bientôt trop petit et on le gardera pour son frère ou sa soeur. L’arrivée d’un autre enfant devient concrète désormais. J’imagine regarder dans le rétro de la voiture et y apercevoir nos deux enfants à l’arrière dans leurs sièges. Ça me semble fou.
Je me sens à la fois excitée et apeurée. Mais surtout excitée je crois.
C’est vraiment un processus dingue la grossesse, tout le chemin qu’on fait dans notre tête, toutes les émotions par lesquelles on passe, la façon dont on transitionne d’un état à l’autre sans même s’en rendre compte parfois !
J’étais pleine d’angoisses et de peurs au tout début, empêtrée dans des pensées sombres qui me coupaient le souffle, et voilà que là, dans ce magasin, j’ai du mal à arrêter de sourire. Peut-être est-ce le deuxième trimestre, qui arrive avec sa dose d'apaisement ?
Alors je sais que ce n’est que le commencement d’une nouvelle aventure, que tout reste à faire et à construire, mais je me sens un peu plus prête qu’hier.
Pour aujourd’hui, on achète un coussin de maternité et un pantalon, ensuite on verra.
Un jour à la fois, une chose à la fois.

17 février
On part quatre jours chez ma cousine Carole et sa famille.
J’ai hâte, la dernière fois qu’on les a vus il y a deux ans, ils venaient d’acheter une maison en ruines qu’ils allaient retaper entièrement, un projet encore plus fou que de faire un enfant je crois !
Une fois sur place, on attend pas très longtemps et dès que tout le monde est réuni, on lance : « On attend un bébé ! », quatre petits mots qui ne sauraient résumer la complexité d’une grossesse, mais qui ne sont plus aussi durs à prononcer. Je crois que c’est la première fois que je ne le fais pas à contrecœur, que ça me semble juste.
Les jours suivants, mon système digestif est mis au test de la cuisine berrichonne : beaucoup de fromage, beaucoup de crème, beaucoup de gras.
Il y a peu, ce séjour culinaire (des plus agréables) m’aurait probablement tué lol ! Là ça va, mon petit corps tient le choc, mais je me dis que je vais me taper une remontrance au prochain RDV sage-femme.
On mangera vert la semaine prochaine. YOLO. Ou plutôt, TEK. (T’es enceinte, kiffe !)

22 février
On part passer une journée à Paris en famille. Peu avant l’arrivée, je commence à ressentir une gêne respiratoire, comme un essoufflement, alors que je suis assise dans la voiture depuis 1H. Cette sensation, vraiment désagréable, vient ouvrir une porte refermée depuis plus de quatre ans.
Je l’avais souvent quand j’étais enceinte d’Indie et putain, qu’est ce que je la déteste ! Cette sensation d’oppression, d’un léger manque d’air qui t’oblige à inspirer plus fort.
Le corps a une sacré mémoire, ça me fascinera toujours ! Instantanément il me dit : on connait ça, on a déjà eu, ne stresse pas, calme-toi, ça va passer.
Ça dure environ trente minutes, puis ça finit par passer à l’arrivée quand je sors de la voiture.
Sacré corps.
27 février
Troisième rendez-vous chez la sage-femme.
Comme la dernière fois, il y a du retard. Je bous dans la salle d’attente, je tolère 5 ou 10 minutes de retard mais 25 ça me semble exagéré. Je sais bien qu’il peut y avoir de multiples raisons à un retard, une urgence, une patiente qui arrive à la bourre ou qui a besoin de parler plus que d’ordinaire, mais ça fait deux fois de suite, j’aimerais juste qu’elle me prévienne avant.
Elle finit par ouvrir la porte, s’excuse et, devant mon agacement, elle me demande si je suis pressée. C’est pas que je suis pressée, c’est que je perds mon temps, c’est une raison tout aussi valable d’être saoulée. C’est pas parce que t’as rien à faire après un rendez-vous que c’est ok d’attendre trente minutes.
Je m’installe et on commence à faire le point habituel : les analyses sont niquel, elle me demande comment je me sens de manière générale, la fatigue, les nausées, je lui répète que j’en ai toujours pas, comme les deux fois précédentes.
Elle me demande si je me pèse chez moi ou si on le fait ici, je lui réponds qu’on le fait ici, toujours avec l’impression que c’est la première fois qu’on se voit et qu’elle ne sait rien de moi.
Je monte sur la balance : 53.3. Elle note et tique un peu : « Vous mangez équilibré ? Vous grignotez ? Vous aviez pris beaucoup de poids pour votre première grossesse ? »
J’hallucine, on va vraiment avoir cette conversation ? Vraiiiiment ? Je suis quasiment à 4 mois de grossesse et j’ai pris moins de 2 kilos en tout, c’est lunaire !
Je lui réponds que je ne sais pas, que je ne fais pas une obsession de mon poids, je ne me souviens honnêtement pas du poids que j’avais pris y’a cinq ans. Je vois qu’elle ne veut pas me bousculer, mais insiste en disant qu’il faut faire attention à ne pas prendre trop de poids pour éviter les complications. Je crois que ma tête parle pour moi.
J’aurais aimé qu’elle s’épanche autant quand je lui confiais les soucis digestifs qui m’ont mise KO les mois précédents et qui m’ont empeché de m’alimenter correctement. Quand je lui ai expliqué que je vivais très mal la frustration liée à cet état, elle aurait pu m’écouter un peu mieux, je lui aurais expliqué que j’avais des difficultés à me gérer ces derniers temps. Que je cherchais mes limites, ou plutot celles de mon estomac, que la nourriture était au coeur de mes pensées, que j’avais des problèmes à ressentir de la satiété, que j’avais tout un équilibre alimentaire à recréer, et tellement de sensations physiques que je ne reconnaissais pas…
C’est vrai, ces dix derniers jours, ça va mieux alors j’ai mangé plus. Je digère mieux, je vais aux chiottes normalement, c’est tout ce que j’attendais depuis des semaines. Alors j’ai mangé des trucs que j’avais pas mangé depuis deux mois et qui me faisaient très envie, j’ai même une « to eat list » assez chargée. Je vais réussir à retrouver une alimentation correcte, mais là, tout de suite c’est compliqué et j’ai pas besoin qu’on vienne me culpabiliser pour 1.8 kilos. Ils veulent dire bien plus qu’ils ne pèsent.
Je pense aux femmes qui prennent « trop » de poids pendant la grossesse, ou même hors grossesse et qui doivent se taper des remarques et des discours grossophobes sous couvert de conseil médical. Des mots blessants et des phrases assassines qui n’ont jamais aidé personne. J’étais déjà gonflée par le retard, mais là je suis d’une humeur massacrante.
On écoute le coeur du bébé, elle m’indique que mon utérus monte maintenant jusqu’à la moitié de mon ventre puis elle me demande si j’ai des questions. Je n’en ai qu’une : est-ce qu’on peut en finir avec ce RDV ? Je me rhabille, file dans la voiture et y reste une vingtaine de minutes, le temps de me plaindre à mes meilleures potes et à Antho.
Etre contrariée ne fait pas grossir, mais ça me donne envie de manger. Je rentre, avale un bout de dinde, deux œufs brouillés et des lentilles, puis des biscuits, gras et sucrés.
28 février
Je trouve mon ventre moche. Il commence à être bien tendu par moments, mon nombril est poussé vers l’extérieur et on voit la peau qui a craqué tout autour sur la fin de la grossesse d’Indie.
Je me dis que la peau est déjà bien tendue, ça va beaucoup plus vite cette fois ci, et j’me demande si c’est pas tout mon ventre entier qui va finir par exploser. Je le vivrai très mal je crois. J’aimerais beaucoup m’en foutre comme de ma première molaire, mais ce n’est pas le cas. Je n’ai pas envie d’exploser, je n’ai pas envie que ma peau soit tellement étirée qu’elle craque littéralement.
Pour le moment, je n’ai pas un joli ventre tout rond, il est un peu carré, un peu étrange.
Vivement la grosse ligne de poils foncés qui devrait bientôt s’installer au milieu.
Ahhhh, je me sens si belle.

1 mars
Antho a une énorme semaine de travail, beaucoup de déplacements, je vais devoir gérer Indie quasi toute la semaine sans mon back up, je me mentalise.
Je suis éclatée de fatigue tous les jours à partir de 16 - 17h, pile au moment où Indie rentre de l’école et qu’on attaque le fameux tunnel jusqu’au coucher. J’espère être assez en forme pour profiter avec elle et non subir laborieusement en regardant l’heure toutes les trois minutes.
Mon amour de grande fille, je l’aime tellement. C’est vrai que c’est plus dur quand Antho n’est pas là, et je ne suis pas un modèle de patience ces derniers temps; mais elle est toujours hyper cool avec moi, je lui dis « on passe la soirée entre filles » et elle me répond gaiement « ok maman » !
Je vois bien qu’on traverse des mini régressions par ci par là en ce moment, le matin c’est dur, elle pleure et chouine beaucoup plus que d’habitude, quand on rentre de l’école elle nous teste pas mal, elle dit beaucoup « non », le soir après le coucher elle nous rappelle plus souvent qu’à l’ordinaire. C’est normal je le sais, j’espère qu’on est à la hauteur pour l’accompagner à travers tout ça.
Je crois qu’on s’en sort pas trop mal ! C’est ce que je me dis souvent. Je l’observe, je la regarde grandir et je suis sa plus grande fan. Très fière d’elle et à la fois « fierté » n’est pas le mot adéquat, parce que même si je pense qu’on s’en sort bien en tant que parents, j’ai surtout l’impression qu’on y est pour rien si elle est si merveilleuse. Elle est comme ça, elle toute seule ! On a peut-être juste beaucoup de chance.
Elle ne le sait pas mais si on attend un deuxième enfant aujourd’hui, c’est en partie parce qu’elle est là, elle. Parce que j’arrive toujours pas à croire qu’on ai une petite personne aussi cool dans nos vies, et que si on en a une deuxième, alors tout sera encore plus beau.
C’est en l’aimant si fort que je me suis dit qu’aimer encore plus allait être l’expérience d’une vie.
Ma fille, mon trésor, mon amour à moi. Tellement précieuse.

3 mars
Ça fait plusieurs jours, enfin plutôt plusieurs nuits que je fais des rêves olé olé. J’avais oublié à quel point les rêves pouvaient être étranges et intenses quand on est enceinte.
Bon là, pour être honnête, ca fait des mois que notre vie sexuelle est quasiment réduite à néant. Les premières semaines pour cause d’état dépressif et inconfort physique permanent, et depuis la T1 parce que la gynéco a dit “pas de sexe”.
Consciemment, je n’ai vraiment aucune envie de sexe. Mais là je me demande si mon subconscient n’essaye pas de me faire passer un message, pas très subtilement d’ailleurs, avec tous ces rêves érotiques voire même franchement pornographiques.
Ils sont vraiment improbables d’ailleurs, il s’agit de moi qui flirte ou couche avec des gens, hommes ou femmes sans distinction de genre, dans des situations ou lieux qui n’ont ni queue ni tête. Des connaissances, des gens que mon cerveau invente ou des célébrités au hasard, ayant pour seul point commun qu’aucun d’entre eux ne m’attire dans la vraie vie !
Je fais ces rêves et je me réveille, perplexe, mais toujours un peu dans le mood, Antho dort à côté et je me demande une fraction de seconde si je devrais pas le réveiller pour passer à l’action dans la vraie vie. Si il est d’accord évidemment.
Je pense qu’il serait super d’accord ! Mais bon, on a toujours pas le droit d’avoir de rapports sexuels, et même si clairement y’a de multiples façons sympa de procéder pour contourner le problème, c’est le milieu de la nuit, on est vaseux et pâteux et c’est moins sexy que dans mes rêves.
Antho ne se plaint pas de l’absence de sexe, mais étant donné que son corps à lui fonctionne normalement, je me dis que ça doit pas être facile. Non pas que je le plaigne, parce bon, j’ai suffisamment de “peine” pour moi-même qui fabrique un gosse avec le mien, mais je sais que ça doit pas être drôle.
On en a parlé une fois il y a quelques semaines et il m’avait dit qu’il était à un stade au delà du manque où il était carrément anesthésié ! Antho ne parle pas trop de ce qu’il ressent de “négatif”, faut toujours aller lui tirer les vers du nez, il garde beaucoup pour lui.
Alors je ne sais pas où il en est, si lui aussi il fait des rêves torrides qui compensent la bien moins drôle réalité, j’espère pour lui lol !
Cet aspect de notre relation me manque, même si le sexe ne me tente pas là. C’est dur à expliquer, mais ça me manque de plus être cette femme là, de ne plus ressentir la facette sexuée de ma personnalité. Je suis juste complétement à coté de mes pompes, comme une observatrice extérieure.
Là, je me sens juste moche et pas dans le corps que je connais, j’ai pas envie qu’on me regarde ni qu’on me touche, je n’ai pas envie d’intimité tout court. Je crois que j’ai envie d’être invisible en fait, j’aimerais que personne ne me regarde pour que personne ne voie ce corps là, cette femme là.
Je me demande quand on pourra se retrouver et songe aux premiers mois avec un bébé. L’antithése du sexy.
Qu’est ce qui va se passer si j’ai pas envie de sexe pendant trèèèès longtemps ? Est-ce qu’on arrivera à reconnecter si on reste physiquement éloignés autant de temps ? Est-ce qu’il va continuer à tout garder pour lui sans jamais en parler jusqu’au jour où ce sera trop tard ? Est-ce que là, ça pourrait être le début de la fin, le truc qui fait peur à tous les couples, ce moment où on bascule dans une relation qui n’est plus complète ? Le point de départ d’une dégringolade sans fin ?
Je dis souvent à Antho que dans une relation, il faut pas se croire plus solides, plus armés, différents des autres ! Je ne crois pas au “pas à nous, on est pas comme ça”.
Mon couple est trop précieux pour jouer au plus malin. J’ai confiance en nous, mais ça fait peur.
5 mars
La semaine de folie s’est finalement achevée, Antho est rentré hier soir, lessivé et j’me sens à peu prés pareil. Mais on est tous les trois !
Puis aujourd’hui, je raye une ligne de ma « to eat list » : on se fait une poutine, souvenir gourmand et ému de notre voyage au Canada. Ce voyage qui signifie tant à mes yeux, parce que j’ai su là bas avec certitude qu’on aurait bientôt un autre enfant.
Bilan :
Poutine ✅
Bébé en route ✅

8 mars
Depuis plusieurs jours, Antho fait un énorme transfert de ses archives, il les passe de vieux disques durs encombrants à du matériel de stockage plus performant. En les parcourant, il retrouve des photos qu’on avait prises à Los Angeles, sur le toit de la maison que louait un pote pendant Coachella.
Je suis tellement belle sur ces photos. Elles datent de 2017, d’il y a six ans donc, et je me dis que, physiquement, j’étais à mon apogée. C’était mon “peak time” et il ne reviendra plus jamais. Pas comme ça, pas aussi fraîche, pas aussi ferme, pas aussi lisse, pas aussi wow.
Je me fais l’inventaire cruel mais lucide de tout ce qui n’est plus : ma peau sans masque de grossesse, ma poitrine haute, mon nombril ferme, le dessous de mes yeux pleins, mes jambes galbées, l’absence de cheveux blancs…
J’ai l’impression d’être sur une pente descendante et je ne sais pas vraiment ce que je ressens à ce sujet. J’ai toujours aimé le concept même de vieillir. Je me dis toujours que si on vieillit c’est qu’on est là pour le faire, c’est un privilège, une chance et non une garantie et encore moins un fardeau.
Et je suis persuadée qu’on peut vieillir “bien”. J’ai surtout une furieuse envie de foutre le feu au patriarcat, parce que clairement, Antho, il se pose pas toutes ces questions lui. Vieillir “bien” ça ne veut pas dire la même chose pour un homme ou une femme.
Mais c’est étrange de regarder derrière soi. Quand j’avais 25 ans, je ne regardais jamais derrière, tout était toujours devant, devant, devant. C’est encore plus étrange de regarder derrière soi pour se dire : “Cette période, cette époque incroyable, c’est quelque chose qu’on ne vivra plus jamais. Parce qu’on a vieilli.”
Je regarde les photos encore un moment. Je me sens tellement moche en ce moment. Il y’a un monde entre la Maude d’il y a six ans sur le toit d’une baraque californienne et celle qui scrute tout ça depuis son canapé aujourd’hui.
Il y a un monde, des milliers de kilomètres, un enfant et demi, un nombre incalculable d’heures de sommeil perdues, des angoisses, des années, des aventures folles et moins folles… il y a tout ça entre nous.
Mais là, à cet instant précis, si je suis mon raisonnement, je suis la version la plus jeune et la plus fraîche du reste de ma vie.
Je me regarde dans le miroir et je flippe. CETTE version ?
On verra ça après la grossesse, parce que là quand même, ça compte pas !

9 mars
Je vais passer la matinée à mon espace de co-working, j’aime bien y aller pour bosser dans un cadre différent de la maison. Régulièrement, des artistes y exposent leurs oeuvres, cela tourne deux ou trois fois par an.
Je découvre en arrivant que de nouvelles peintures ornent les murs, je fais un petit tour pour les observer. Le lieu est très grand alors il y en a un peu partout, mais je bloque sur celle qui est accrochée juste au dessus de mon bureau.
Des hippocampes ! Je souris. Quelle drôle de coincidence qu’il s’agisse d’une peinture représentant la seule espèce où ce sont les mâles qui portent les bébés.
Combien de fois ai-je dit à Antho en plaisantant : “ J’aimerais bien qu’on soit des hippocampes, comme ça c’est toi qui serait enceint ! ”
J’essaye briévement de me figurer un monde dans lequel, parmi les humains, ce serait les hommes qui porteraient les bébés. Je n’y arrive pas. C’est impossible à concevoir, il me semble que tout serait radicalement différent. Fondamentalement différent.
Je ne sais pas si les hommes seraient meilleurs ou pires, mais ils sauraient.

(Tableau original de Nolwenn, La palette créative, nolwenn-lapalettecreative.com)
10 mars
Depuis plusieurs semaines, j’ai remarqué une rougeur et une sorte de “relief” sur l’un de mes seins. J’y ai pas porté d’intérêt de suite en pensant que ça partirait tout seul, mais ne voyant rien évoluer j’ai pris rendez-vous pour une échographie.
Les délais étaient super longs pour avoir une consultation, alors entre temps je me suis fait plusieurs scénarios, dont celui de la mauvaise nouvelle très grave.
J’ai pensé à ces femmes qui portent à la fois leur enfant et la maladie, ça ne devrait jamais arriver ça. On ne devrait jamais avoir peur du pire, peur de ne pas être là pour voir grandir nos enfants. Et je veux dire peur de manière tangible et concrète, pas de façon hypothétique comme cela nous arrive à toutes.
J’arrive au RDV et on me fait attendre le médecin dans la salle d’examen. Je suis torse nu et me sens vulnérable. J’enroule mes bras autour de mon buste pour me couvrir un peu et j’attends.
Sur l’écran de la machine je vois une liste de noms, le mien tout en bas. Toutes les femmes qui sont venues se faire examiner aujourd’hui.
Je les passe en revue et regarde les dates de naissance de chacune. Que des femmes plus âgées, je suis la plus jeune du lot. Je me demande si certaines d’entre elles sont reparties de cette même salle un peu plus tôt avec une mauvaise nouvelle et la boule au ventre.
Est-ce que JE vais repartir de cette salle avec une mauvaise nouvelle et mon bébé dans le ventre ?
La médecin arrive, me demande de lui expliquer pourquoi je viens, regarde mon sein, puis commence l’échographie. Elle est très concentrée et fronce les sourcils, son expression m’inquiète un peu. Puis après un examen minutieux de quelques minutes, elle déclare : “Il n’y a rien”.
Rien. Pfiou ! C’est l’une des circonstances particulières ou “rien” n’est pas un mot flippant, “rien” c’est la santé et des tas de possibilités, des projets, un futur. “Rien” est ce qu’il y a de mieux.
Je fais partie des chanceuses qui repartent de la salle d’examen avec légèreté aujourd’hui. Je remercie intérieurement quelqu’un ou quelque chose là haut pour cela.
Des “riens”, c’est ce que je me souhaite, le plus longtemps possible.

La semaine prochaine : le mois 5.